Billy Corgan FR

Dimanche 18 Septembre 2005

La route du retour au foyer n’était pas aussi mémorable que celle qui m’en avait fait sortir…je ne suis même pas sûr de savoir ce pour quoi je reviens…sans le réaliser, j’ai abandonné la meilleure partie de moi-même, et j’ai cédé face à la voix qui asservit…

A mon grand soulagement, mon père me salue de la porte de derrière avec un grand sourire et dit “je savais que tu reviendrais” (ce qui est sa façon de me dire je n’aurais pas dû m’embêter à partir)…la voiture est garée dans l’allée pendant que je traîne le peu de bric-à-brac que j’ai (des habits sales, une guitare, un ampli, des bijoux, mes cassettes et 4-track) en montant les marches de derrière jusqu’au 3 petites marches qui mènent à mon ancienne chambre…la chambre ressemble plus à un cagibi qu’à une chambre (situé juste à côté de la cuisine, on ne peut pas tenir debout complètement mais on doit plutôt s’accroupir en quelque sorte) qui contient difficilement un lit standard sans châlit (récemment fait) sur le sol…mon look choque mon père parce que lorsque je suis parti, j’avais des cheveux bruns, longs, doux et bouclés, je pesais environ 85 kilos et j’étais essentiellement une personne effacée (la plupart dirait timide)…maintenant, je ressemblais à une sorte de gitan gothique venu pour te secouer…pesant 75 kilos, avec les cheveux noirs, les sourcils rasés, et une attitude qui était en apparence nerveuse et déconcertante, je présentais une décision que quiconque me regardait aurait à faire…de quel côté es-tu?

Comme je le ferai continuellement tout au long de ma vie, je décide de tourner le dos à tout ce a quoi je faisais face…je décide d’abandonner la musique rock bruyante, et à la place de me concentrer plus sur l’écriture des chansons…ce qui dans mon drôle d’esprit veut dire abandonner mes pédales fuzz et de distorsion (ce que je fais), vendre mes disques de heavy metal (je les rachèterai tous plus tard) et ne pas m’embêter avec un groupe…puisque la guitare est ce que je fais le mieux, il s’avère aussi que je tournerai le dos à mon style flashy et agressif et que j’apprendrai comment jouer de la “vraie” musique…à mes yeux, mes plus grandes faiblesses sont mes chansons et ma voix, et c’est à cela que j’attribue mon manque de succès (jusqu’alors), la fin de mon groupe à présent défunt, et le comment j’ai fini ici…

Une fois avoir emménagé à nouveau, mon père m’annonce que puisque je suis désormais un “adulte” (un terme incriminant et de mauvaise augure dans ma famille), je dois aider à payer le loyer…sans négociation, il m’assigne au taux de 150 $ par mois, ce qui représente la moitié du loyer qu’il paie pour la maison (il continue à payer les charges)… aucune mention n’est jamais faite des 250 $ (ou de ma voiture qui a disparu depuis longtemps maintenant) qu’il m’a piqué, et comme je ne suis vraiment pas en position d’en discuter avec lui, je ne dis rien…mon loyer, cependant, ne change rien au prémisse de base qui est que c’est sa maison, ses lois, sa folie…la maison de mon père se situe dans une banlieue italo-polonaise au nord-ouest de Chicago, c’est un ancien garage de maintenance agricole qui a été archaïquement reconverti en une cabane de 2 pièces...c’est un véritable taudis, plein de souris, de cafards et de pièces de voiture...les murs sont délabrés, et portent les traces d’une aimable tentative pour les « rafistoler »... au début, la maison devait être « son studio » (il est musicien et mécanicien)...ce qui était le salon de devant est désormais une sorte de salle de contrôle isolée, et une vitre sépare cette salle de la salle centrale (la salle de tracking), qui longe la chambre de mon père, la salle arrière de l’allée...la cuisine a été tapissée de papier à musique beige, un mémo perpétuel rappelant son but originel, et une blague grossière...comme tant de projets dans sa vie, la maison porte les traces et l’énergie urgente d’une bonne idée jamais achevée...mais comme l’intention n’a jamais été complètement abandonnée, le rêve subsiste dans une sorte d’état inachevé (des fils pendent du plafond, un mur fraîchement peint repose contre un mur exposé, etc)... mon père n’utilise plus le studio qu’il a construit, ce qui me rend triste...le pire, c’est qu’il ne m’a jamais autorisé à l’utiliser pour enregistrer mes chansons (aucune raison n’est jamais donnée---je suis seulement invité une fois, lorsqu’à 16 ans, je joue un solo dynamique de blues sur l’une des chansons de mon père)...on vit juste à côté de sa petite amie, une ancienne maîtresse reconvertie en éternelle fiancée...elle vit dans la maison de sa famille que sa mère a léguée à elle et à ses 2 soeurs...mon père a vécu avec elle au sous-sol pendant des années, mais a déménagé dans sa maison parce qu’il « ne pouvait simplement plus le supporter »... mais mon père y vit encore avec elle la moitié du temps...sa maison m’est ouverte (de façon générale), mais ce n’est pas vraiment une politique portes ouvertes...(même si j’y suis resté beaucoup de fois quand j’étais plus jeune)...je fais partie de la famille, mais je n’ai pas les droits d’un fils…leur relation est relativement solide, mais pas particulièrement incluante, étant donné qu’elle n’est pas « ma » mère ; ou même ma belle-mère, et mon père semble préférer garder tout le monde dans sa vie un peu séparé (une tactique commune chez les drogués)...parfois, c’est comme si on se disputait tous son attention: ses enfants, sa petite amie, ses amis, ses ex-femmes, son chien...lorsqu’il ne sort pas pour faire son trafic, il passe une bonne partie de ses journées à travailler hors du garage, ce qui rend les voisins furieux parce qu’il fait beaucoup de bruit lorsqu’il fait de la carrosserie ou du tuning...il n’en a rien à faire, parce que mon père a une personnalité rock and roll quoiqu’il fasse, un langage corporel traduisant un constant « quoiqu’il arrive, j’en ai rien à foutre »...

C’est en errant ici, dans le monde de mon père, perdu entre l’enfance et le monde des vrais adultes, que je suis parvenu à des conclusions décisives...je me dis que si en effet je veux un jour « réussir » en tant qu’artiste, je dois devenir sérieux pour de vrai...et même si c’est foutu, j’aurai à trouver un moyen de gagner de l’argent...je commence à faire des boulots bizarres dans les alentours, tondre la pelouse et peindre des porches...des fois, j’essaie même d’aider mon père, mais je déteste ça, et il me méprise et me dit qu’il n’arrive pas à croire à quel point je suis un fils fainéant...je travaille dans une librairie universitaire, qui a besoin d’aide supplémentaire à la rentrée...en tant que quelqu’un qui a été bon élève toute sa vie, c’est humiliant d’être de l’autre côté du comptoir, sachant suffisamment bien qu’en refusant les bourses et les subventions pour l’université, je m’étais éloigné de ce qui aurait pu être une vie vraiment érudite et sûre (j’avais même été accepté par l’Université du Michigan en sciences politiques !)... j’aurais aimé être historien, ou peut-être bien psychologue, mais tout cela me semblait bien loin, là où j’étais, ressemblant à un exclu des Munsters tendant des bouquins de chimie à des gamins de 18 ans...le vieil homme qui tient la librairie en est le propriétaire depuis près de 40 ans...au début, il me regarde avec une profonde méfiance, se demandant si quelqu’un n’avait pas fait une erreur en m’engageant...il avait récemment eu une attaque, et il marchait lentement en boitant légèrement, les yeux juste au-dessus de ses lunettes...il m’a gracieusement gardé, et finalement félicité d’être un si bon travailleur et une si bonne personne...nous n’avions absolument rien en commun, donc lorsqu’il y avait peu de travail, nous devions trouver un sujet en commun, comme discuter du temps qu’il fait, ou d’un quelconque article dans le journal...pourtant, aussi insignifiant que cela semble, j’apprécie vraiment cet homme pour ne pas me juger, et pour m’accueillir dans son petit monde.. c’est un petit mais nécessaire boost de confiance, et cela aide vraiment à la maison puisque cela me permet de payer ma part du loyer...

Cette période est l’une des rares fois dans ma vie où les choses sont vraiment, vraiment calmes…il y a une pause dans tout ce que je fais, parce que je ne sais pas vraiment quoi faire...je passe beaucoup de temps dans ma chambre, à écouter des disques abîmés que je trouve dans des boutiques d’occasions, à faire des démos que je sais que personne n’écoutera...je considère la musique d’un point de vue complètement différent, essayant de comprendre comment les grands auteurs-compositeurs prennent leurs décisions... pourquoi choisissent-ils une note plutôt qu’une autre ?...des idées commencent à émerger, et je commence à voir l’écriture comme une sorte d’architecture...je cherche les sens cachés des paroles, et commence à comprendre que mon parolier préféré parle dans un genre de code…je décortique les sons de batterie (grosse caisse et caisse claire), observant de la touche comment les batteurs et les bassistes exécutent une danse secrète derrière la musique...la beauté de la musique s’ouvre à moi comme un son que je peux voir, et j’apprends lentement que je peux écrire le programme de la manière que je veux...il y a tellement de morceaux et de fragments, tellement de décisions, chaque direction créant une panoplie complètement nouvelle de possibilités et de problèmes...et comme quelqu’un qui réapprend à marcher, je trébuche un peu, fouillant dans les fondamentaux des sentiments jusqu’à ce que je trouve les signes de mon propre langage... je ne fais pas confiance à mes propres intuitions, et je les combats à chaque tournant...je ne veux pas sonner comme moi, mais chaque tentative de chanter comme quelqu’un d’autre échoue lamentablement...je ne me permettrai pas de jouer de la guitare de mon « ancienne » façon (qui est vraiment, vraiment agressive !), donc je dois créer la violence que je cherche dans les changements de tons plutôt que dans la puissance crue...je me sens incroyablement humble, parce que cela ne se passe pas (ou ne sonne pas) comme je le veux...et ainsi il se trouve que enterrés sous toutes ces idées que je suis en train d’enregistrer et qui sont réminiscentes des Cure, ou des Sisters of Mercy, ou des Pink Floyd, ou quoi que ce soit, c’est MOI...

 

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Traduction par Benjamin Pruvost et Antoine Leruste. Copyright 2005. Tous droits réservés. Toute reproduction est interdite sans autorisation écrite.

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