La vie dans le château, ou "The House" comme cela commence à être connu, est tout à fait simple et calme…j'ai passé la plupart de mes matinées à écrire, me levant habituellement au moins une heure avant ma petite amie, tapotant à la machine à écrire ou pinçant doucement les cordes d'une vieille guitare acoustique des années 50 au lit…si j'ai une idée convenable, j'ai juste à attraper mon lecteur de cassettes portable, à appuyer sue enregistrer et à le laisser tourner…parce que nous sommes tout en haut des collines d'Hollywood, une brise fraîche entre d'habitude avec l'odeur des pins…tout est vraiment très calme, un parfait cadre pour travailler et pour créer…les pièces sont décorées dans le style espagnol de L.A, qui est un faux mélange de simulacres de vieux monde "espagnol" mêlé avec le besoin de bien mettre en valeur que celui ou celle à qui appartient l'endroit a beaucoup d'argent….donc nous dormons sur un lit rustique, dans une chambre dégrossie qui se situe au second étage donnant sur une terrasse inférieure et une piscine (D'arcy est en haut dans la tour, Bjorn à la porte d'à côté, Gooch au premier étage )….nous adoptons rapidement un rythme dans lequel j'écris le matin, et ensuite peut être ma petite amie se lève et va nager pour faire de l'exercice (pendant que je la regarde et lui parle à côté de la piscine)…je suis habituellement au studio vers 11 ou 12 heures, je travaille une journée entière jusqu'à, disons, 11 ou 12 heures du soir et après nous traînons la nuit à côté du jacuzzi, avec toutes les lumières scintillantes de Los Angeles s'étalant devant nous comme autant de joyaux (une vue magnifique et vibrante )…souvent, nous prenons quelques tranquillisants pour se détendre, quelques comprimés pas clairs sur lesquels nous avons été branchés par les gars de Manson que tout le monde appelle communément "les pilules bleues"…ou, lors de nuits spéciales, nous prenons des champignons et nous flottons en remuant les jambes dans la piscine jusqu'à ce que le soleil soit sur le point de se lever…c'est, d'une manière générale, très amusant et pas si nocif à première vue…nous sommes là où nous sommes censés être, en train de faire ce que nous sommes censés faire…car si on est dans l'un des plus grands groupes de rock du monde, on traîne près de la piscine, on prend ces drogues et on se shoote à la came avec d'autres stars dans le Sodom et le Gomorrah d'Amérique…souvent, d'autres lumières passent : Johnny Depp, Anthony Kiedis, Dave Navarro, Kate Moss, Helena Christensen, pour en nommer quelques uns, tous pour visiter la ville…c'est une situation typique qu'on pourrait rencontrer n'importe quelle nuit de la semaine dans ces collines…donc cela n'a rien de spécial, et je ne me sens pas non plus spécial en faisant cela…l'absence la plus notable à la fête est celle de James qui ne vient pratiquement jamais…(par jamais, j'entends qu'il ne vient à la maison qu'une ou deux fois durant les 6 mois que nous sommes là)…
Les sessions vont généralement à petite vitesse et sont techniques (on travaille 6 jours par semaine et à la fin 7)…la plupart de mon temps est consacré à chercher comment obtenir de nouveaux sons avec un vieux matériel…j'ai fait exprès de n'apporter aucun de mon matériel habituel, me refusant l'accès à mon équipement le plus éprouvé et par là même me forçant à travailler en territoire inconnu…les amplis sont vieux, des amplis à tube vintage, pas faits pour les énormes murs de son…il n'y a pratiquement pas de pédales de guitare, certainement aucune qui donne de la distorsion à la guitare….je me suis retiré dans un coin avec l'espoir que je pourrais faire suffisamment attention pour trouver la bonne voie…la régie dans laquelle nous travaillons est très étroite, si bien que cela rend difficile le fait de traîner tranquille pour qui que ce soit en dehors des 3 principales personnes (moi, Bjorn, Howard)…comme c'est souvent le cas pendant l'enregistrement, si l'on n'a pas besoin d'eux, James et D'arcy ont tendance à traîner dans le salon où ils peuvent regarder la télé…le seul problème est que ce salon est vraiment petit et étroit, ce qui fait que même le fait de passer devient inconfortable…je dis à D'arcy que j'aimerais vraiment qu'elle vienne passer la journée à travailler avec moi, qu'elle peut au pire aider à guider la direction que l'album prend (une demande que je n'avais pas faite avant)…je lui dis que j'ai besoin de son conseil (elle a toujours un bon sens de ce qui est "bien") et même si l'espace est serré, j'apprécierais vraiment son soutien…elle s'énerve et elle me crache "pourquoi est-ce que je voudrais m'asseoir là toute la journée avec toi ? C'est si emmerdant !!"…James s'assoie dehors dans la cour la plupart du temps et téléphone sur son portable…c'est un moment difficile pour tout le monde…ils ont l'habitude que je travaille par moi-même, et toute tentative que je fais maintenant pour les engager ne se passe pas très bien, ou est prise avec désintérêt émotionnel…les choses semblent seulement faire tilt si nous jouons tous au même moment, mais cela ne marche pas toujours pour toutes les chansons et le niveau de jeu n'est pas assez haut (sur leur partie) pour justifier ce genre d'enregistrement pour tout le disque…cela devient donc du cas par cas, chanson par chanson, où chaque chanson doit trouver une direction, et ensuite basé sur ce que je détermine comme étant le mieux pour une chanson particulière, je fixe une direction qui met en action les différentes dynamiques dysfonctionnelles du groupe…par exemple, s'ils ne sont pas vraiment utiles pour une chanson dans un sens fondamental, ils n'ont pas l'air de se préoccuper de comment cela tourne…si je leur demande de jouer sur une certaine idée parce que je sens que leur contribution est importante (c'est à dire : "pourquoi tu n'essayes pas un peu de basse/guitare sur celle là") notre communication est si faible maintenant que si cela ne va pas bien assez rapidement, je ne sais pas comment "travailler" avec eux et ils ne se sentent pas assez à l'aise non plus pour donner le meilleur d’eux-mêmes et s’impliquer le plus possible…parfois les choses tiltent comme les idées de D'arcy sur la basse à 6 cordes sur la chanson "waiting" mais le plus souvent ils donnent peu et de moins en moins à mesure que les jours passent…la situation est simplement trop compromise et semble essentiellement impossible à réparer…m'étant emballé sur l'idée d'utiliser des boites à rythme et/ou des samples à la place d'un batteur "vivant", j'ai vite découvert que ce n'est pas une façon aussi facile ou excitante à jouer que je l'avais envisagée…donc la batterie devient une source de frustration et de souci et nous commençons à penser que quelques chansons (mais pas toutes) bénéficieraient de l'utilisation d'un réel batteur…
Nous appelons Joey, du groupe Beck, pour l'insérer…son style rappelle fondamentalement la façon de jouer de Jimmy donc c'est une adaptation facile…travailler avec lui va assez vite…la plupart du temps, je le fais jouer pour des chansons qui sont déjà quelque peu enregistrées et son rythme est si solide que c'est un jeu d'enfant épargnant beaucoup de temps et d'efforts…(un mois après je lui demande s'il voudrait faire la tournée…il me dit immédiatement oui et une semaine après il nous quitte sans explications)…l'autre batteur avec lequel nous travaillons est Matt, du groupe Soundgarden désormais séparé…Matt est l'un des quelques batteurs que j'ai toujours senti rivaliser avec Jimmy dans le rayon des coups et nous lui demandons de venir et d'enregistrer en prise directe avec nous…même si son style est différent de celui de Jimmy, il apporte aux chansons, tout comme Jimmy, une nouvelle dynamique…le temps fort de notre travail avec lui est la chanson que j'ai écrite pour ma mère "For Martha", un opus de près de 7 minutes avec beaucoup de parties, d'arrêts et de départs, et même de changements de tempo…je joue la partie de piano en directe dans une pièce "isolée" pendant que James et D'arcy sont avec lui dans la principale…nous faisons beaucoup, beaucoup de prises pour obtenir le morceau entier juste bien (de telle sorte que l’enregistrement soit en une seule partie) et cela ressort magnifiquement comme tout le monde joue avec beaucoup de passion et d'âme (un vrai grand moment de l’album)…
Après tant de mois de pression, le contraste entre ces moments incroyables de grâce et la poursuite ordinaire des plus petits détails commencent à me rendre fou…l'album et ses concepts s'étendent maintenant de tous les côtés et sont hors de contrôle…il y a quelques 30 chansons à moitié finies et je ne peux même pas dire que je sais ce que je recherche…ce n'est pas acoustique, et ce n'est pas électronique, c'est plutôt un sentiment triste, perdu avec des rayons d'espoir brillant au travers…groupe, pas de groupe, batteur, pas de batteur…je suis là en personne, mais pas vraiment en esprit…je travaille, je parle mais je me sens détaché de tout cela…en tant que compositeur, c'est une chose bizarre d'être aussi l'interprète…je prends immensément plaisir à écrire, mais je suis déçu de moi même en tant que "l'artiste"…et menaçant à l'arrière plan il y a tous les événements qui m'ont amené ici, toujours irrésolus….je n'ai même pas pris un moment de pause pour pleurer ma maman…tout cela est si douloureux que je ne peux supporter de porter la vérité entière, donc je la casse simplement en pièces de plus en plus petites qui sont faciles à digérer sur une base jour après jour…mais il n'y a plus de point à l'horizon vers lequel je marche…j'ai atteint le plus grand des succès et goûté la stupidité de mon propre orgueil démesuré…les vieux rêves sont morts et maintenant ma vie devient plus une marche pénible de survie, et d 'une certaine façon désordonnée, tant que je continue à travailler, je vais bien…il y a une part de moi qui ne veut pas que cela se termine parce que j'ai peur de ce qui m'attend de l'autre côté…
Pour me sentir mieux, j'entre d'un pas décidé chez un vendeur de Ferrari et je paie cash pour une 355 flambant neuf, la première voiture neuve que j'ai jamais possédée…pour compléter la mascarade, j'achète deux pantalons en cuir sur l'envie de ma petite amie européenne…si on s'arrêtais à côté de moi à un feu rouge, on trouverait un chauve en dépression, en surpoids du signe des Poissons portant du cuir de la tête aux pieds (sans oublier les 300 dollars de lunettes de soleil), avec un caniche gris argenté haletant sur le siège du passager…je suis en train d'écouter la face b de Prince, évitant tout contact visuel, mais me sentant comme si le monde entier me dévisageait dans mon véhicule argenté…je réalise que tout cela est absurde bien sûr, mais cela ne m'arrête pas…en fait, cela me rassure de savoir que je suis conscient de vivre dans un dessin animé, jouant dans un groupe fictif et me baladant…
Au bout de la moitié à peu près de l'enregistrement nos managers viennent et nous rendent visite pour jeter un petit "coup d'oeil", pour se rendre compte de ce qui se passe réellement et pour écouter le disque au point où il en est…(on peut les voir dans le film de Metallica "Some kind of Monster" )…je leur passe la plupart des chansons, sinon tout ce que j'ai et ils sont assis là chanson après chanson dans une sorte de silence stupéfait…une fois que c'est fini, ils ont l'air embarrassé pour trouver quelque chose de positif à dire…ce n'est sûrement pas ce à quoi ils pensaient, s'imaginant peut-être qu'il s'agissait plus d'un disque acoustique, mais maintenant je réalise que je suis loin de l'intrigue…ils me laissent avec peu d'espoir, d'encouragement, ou de suggestions au-delà d'amener peut être un producteur…je prends tout cela, particulièrement le fait qu'ils ne semblent pas comprendre ce que j'essaye d'accomplir, comme une bonne chose…
Suivant leur suggestion, nous finissons par enregistrer une chanson avec le producteur connu Rick Rubin (que je connais un peu de fréquentation)…la chanson "Let Me Get The World To You" à ce jour non commercialisée (avec Joey à la batterie)…après quelques changements de direction, en fin de compte nous finissons par enregistrer la chanson en prise directe sans aucun chant…après des incarnations et des incantations variées, je suggère de mettre de l'ordre dans la mesure avec une pulsion de tam-tam "four-on-the-floor"… cela ennuie Rick au début, il n'est pas d'accord avec ce vers quoi nous nous sommes dirigés et part se coucher sur le divan (je ne le lui reproche pas)…après environ 5 minutes, il bondit et dit "c'est ça, c'est ça, faisons le!" et nous commençons à faire des prises (l'enthousiasme de Rick est contagieux)…après 68 prises, je suis finalement satisfait…James, D'arcy et moi sommes habitués à travailler comme cela tout le temps mais Joey semble être complètement en état de choc…plus tard il décrira (dans une interview) le fait d'avoir travaillé avec nous (je paraphrase) comme étant l'une des expériences les plus intenses qu'il ait jamais eue dans la musique, mais continue pour ajouter qu'au-delà de tout doute qu'il a pu avoir sur le moment, il a finalement réalisé que ce que nous recherchions valait vraiment le coup…
L'album semble finalement avoir trouvé une position solide, avec son mélange bizarre et sa démarche égale et commence à gagner une petite impulsion…je sens à présent que j'ai la direction que je veux prendre…je fais des plans avec Flood (le producteur de Mellon Collie) pour venir à la fin et pour m'aider à tout assembler et à mixer l'album…savoir que je vais avoir son soutien et sa direction lorsque j'ai presque terminé me donne beaucoup de confiance pour continuer, puisque je sens que peu importe où je vais à partir de là, il y aura quelqu'un pour me guider hors de l'obscurité…le désavantage est que j'ai désormais un délai à respecter, donc je dois commencer à faire un choix sérieux sur où mettre mon énergie…cela veut aussi dire que je dois commencer à enregistrer mes parties vocales (dont presque aucune n'est faite) et à prendre des décisions concrètes au niveau des paroles…
C'est juste à ce moment, quand tout semble calme, que tout commence à devenir un enfer…
Copyright 2005 Billy Corgan. All Rights Reserved. Please do not do reproduce or publish in hard or electronic form without written authorization.
Traduction par Riri et Antoine Leruste. Copyright 2005. Tous droits réservés. Toute reproduction est interdite sans autorisation écrite.
Les sessions vont généralement à petite vitesse et sont techniques (on travaille 6 jours par semaine et à la fin 7)…la plupart de mon temps est consacré à chercher comment obtenir de nouveaux sons avec un vieux matériel…j'ai fait exprès de n'apporter aucun de mon matériel habituel, me refusant l'accès à mon équipement le plus éprouvé et par là même me forçant à travailler en territoire inconnu…les amplis sont vieux, des amplis à tube vintage, pas faits pour les énormes murs de son…il n'y a pratiquement pas de pédales de guitare, certainement aucune qui donne de la distorsion à la guitare….je me suis retiré dans un coin avec l'espoir que je pourrais faire suffisamment attention pour trouver la bonne voie…la régie dans laquelle nous travaillons est très étroite, si bien que cela rend difficile le fait de traîner tranquille pour qui que ce soit en dehors des 3 principales personnes (moi, Bjorn, Howard)…comme c'est souvent le cas pendant l'enregistrement, si l'on n'a pas besoin d'eux, James et D'arcy ont tendance à traîner dans le salon où ils peuvent regarder la télé…le seul problème est que ce salon est vraiment petit et étroit, ce qui fait que même le fait de passer devient inconfortable…je dis à D'arcy que j'aimerais vraiment qu'elle vienne passer la journée à travailler avec moi, qu'elle peut au pire aider à guider la direction que l'album prend (une demande que je n'avais pas faite avant)…je lui dis que j'ai besoin de son conseil (elle a toujours un bon sens de ce qui est "bien") et même si l'espace est serré, j'apprécierais vraiment son soutien…elle s'énerve et elle me crache "pourquoi est-ce que je voudrais m'asseoir là toute la journée avec toi ? C'est si emmerdant !!"…James s'assoie dehors dans la cour la plupart du temps et téléphone sur son portable…c'est un moment difficile pour tout le monde…ils ont l'habitude que je travaille par moi-même, et toute tentative que je fais maintenant pour les engager ne se passe pas très bien, ou est prise avec désintérêt émotionnel…les choses semblent seulement faire tilt si nous jouons tous au même moment, mais cela ne marche pas toujours pour toutes les chansons et le niveau de jeu n'est pas assez haut (sur leur partie) pour justifier ce genre d'enregistrement pour tout le disque…cela devient donc du cas par cas, chanson par chanson, où chaque chanson doit trouver une direction, et ensuite basé sur ce que je détermine comme étant le mieux pour une chanson particulière, je fixe une direction qui met en action les différentes dynamiques dysfonctionnelles du groupe…par exemple, s'ils ne sont pas vraiment utiles pour une chanson dans un sens fondamental, ils n'ont pas l'air de se préoccuper de comment cela tourne…si je leur demande de jouer sur une certaine idée parce que je sens que leur contribution est importante (c'est à dire : "pourquoi tu n'essayes pas un peu de basse/guitare sur celle là") notre communication est si faible maintenant que si cela ne va pas bien assez rapidement, je ne sais pas comment "travailler" avec eux et ils ne se sentent pas assez à l'aise non plus pour donner le meilleur d’eux-mêmes et s’impliquer le plus possible…parfois les choses tiltent comme les idées de D'arcy sur la basse à 6 cordes sur la chanson "waiting" mais le plus souvent ils donnent peu et de moins en moins à mesure que les jours passent…la situation est simplement trop compromise et semble essentiellement impossible à réparer…m'étant emballé sur l'idée d'utiliser des boites à rythme et/ou des samples à la place d'un batteur "vivant", j'ai vite découvert que ce n'est pas une façon aussi facile ou excitante à jouer que je l'avais envisagée…donc la batterie devient une source de frustration et de souci et nous commençons à penser que quelques chansons (mais pas toutes) bénéficieraient de l'utilisation d'un réel batteur…
Nous appelons Joey, du groupe Beck, pour l'insérer…son style rappelle fondamentalement la façon de jouer de Jimmy donc c'est une adaptation facile…travailler avec lui va assez vite…la plupart du temps, je le fais jouer pour des chansons qui sont déjà quelque peu enregistrées et son rythme est si solide que c'est un jeu d'enfant épargnant beaucoup de temps et d'efforts…(un mois après je lui demande s'il voudrait faire la tournée…il me dit immédiatement oui et une semaine après il nous quitte sans explications)…l'autre batteur avec lequel nous travaillons est Matt, du groupe Soundgarden désormais séparé…Matt est l'un des quelques batteurs que j'ai toujours senti rivaliser avec Jimmy dans le rayon des coups et nous lui demandons de venir et d'enregistrer en prise directe avec nous…même si son style est différent de celui de Jimmy, il apporte aux chansons, tout comme Jimmy, une nouvelle dynamique…le temps fort de notre travail avec lui est la chanson que j'ai écrite pour ma mère "For Martha", un opus de près de 7 minutes avec beaucoup de parties, d'arrêts et de départs, et même de changements de tempo…je joue la partie de piano en directe dans une pièce "isolée" pendant que James et D'arcy sont avec lui dans la principale…nous faisons beaucoup, beaucoup de prises pour obtenir le morceau entier juste bien (de telle sorte que l’enregistrement soit en une seule partie) et cela ressort magnifiquement comme tout le monde joue avec beaucoup de passion et d'âme (un vrai grand moment de l’album)…
Après tant de mois de pression, le contraste entre ces moments incroyables de grâce et la poursuite ordinaire des plus petits détails commencent à me rendre fou…l'album et ses concepts s'étendent maintenant de tous les côtés et sont hors de contrôle…il y a quelques 30 chansons à moitié finies et je ne peux même pas dire que je sais ce que je recherche…ce n'est pas acoustique, et ce n'est pas électronique, c'est plutôt un sentiment triste, perdu avec des rayons d'espoir brillant au travers…groupe, pas de groupe, batteur, pas de batteur…je suis là en personne, mais pas vraiment en esprit…je travaille, je parle mais je me sens détaché de tout cela…en tant que compositeur, c'est une chose bizarre d'être aussi l'interprète…je prends immensément plaisir à écrire, mais je suis déçu de moi même en tant que "l'artiste"…et menaçant à l'arrière plan il y a tous les événements qui m'ont amené ici, toujours irrésolus….je n'ai même pas pris un moment de pause pour pleurer ma maman…tout cela est si douloureux que je ne peux supporter de porter la vérité entière, donc je la casse simplement en pièces de plus en plus petites qui sont faciles à digérer sur une base jour après jour…mais il n'y a plus de point à l'horizon vers lequel je marche…j'ai atteint le plus grand des succès et goûté la stupidité de mon propre orgueil démesuré…les vieux rêves sont morts et maintenant ma vie devient plus une marche pénible de survie, et d 'une certaine façon désordonnée, tant que je continue à travailler, je vais bien…il y a une part de moi qui ne veut pas que cela se termine parce que j'ai peur de ce qui m'attend de l'autre côté…
Pour me sentir mieux, j'entre d'un pas décidé chez un vendeur de Ferrari et je paie cash pour une 355 flambant neuf, la première voiture neuve que j'ai jamais possédée…pour compléter la mascarade, j'achète deux pantalons en cuir sur l'envie de ma petite amie européenne…si on s'arrêtais à côté de moi à un feu rouge, on trouverait un chauve en dépression, en surpoids du signe des Poissons portant du cuir de la tête aux pieds (sans oublier les 300 dollars de lunettes de soleil), avec un caniche gris argenté haletant sur le siège du passager…je suis en train d'écouter la face b de Prince, évitant tout contact visuel, mais me sentant comme si le monde entier me dévisageait dans mon véhicule argenté…je réalise que tout cela est absurde bien sûr, mais cela ne m'arrête pas…en fait, cela me rassure de savoir que je suis conscient de vivre dans un dessin animé, jouant dans un groupe fictif et me baladant…
Au bout de la moitié à peu près de l'enregistrement nos managers viennent et nous rendent visite pour jeter un petit "coup d'oeil", pour se rendre compte de ce qui se passe réellement et pour écouter le disque au point où il en est…(on peut les voir dans le film de Metallica "Some kind of Monster" )…je leur passe la plupart des chansons, sinon tout ce que j'ai et ils sont assis là chanson après chanson dans une sorte de silence stupéfait…une fois que c'est fini, ils ont l'air embarrassé pour trouver quelque chose de positif à dire…ce n'est sûrement pas ce à quoi ils pensaient, s'imaginant peut-être qu'il s'agissait plus d'un disque acoustique, mais maintenant je réalise que je suis loin de l'intrigue…ils me laissent avec peu d'espoir, d'encouragement, ou de suggestions au-delà d'amener peut être un producteur…je prends tout cela, particulièrement le fait qu'ils ne semblent pas comprendre ce que j'essaye d'accomplir, comme une bonne chose…
Suivant leur suggestion, nous finissons par enregistrer une chanson avec le producteur connu Rick Rubin (que je connais un peu de fréquentation)…la chanson "Let Me Get The World To You" à ce jour non commercialisée (avec Joey à la batterie)…après quelques changements de direction, en fin de compte nous finissons par enregistrer la chanson en prise directe sans aucun chant…après des incarnations et des incantations variées, je suggère de mettre de l'ordre dans la mesure avec une pulsion de tam-tam "four-on-the-floor"… cela ennuie Rick au début, il n'est pas d'accord avec ce vers quoi nous nous sommes dirigés et part se coucher sur le divan (je ne le lui reproche pas)…après environ 5 minutes, il bondit et dit "c'est ça, c'est ça, faisons le!" et nous commençons à faire des prises (l'enthousiasme de Rick est contagieux)…après 68 prises, je suis finalement satisfait…James, D'arcy et moi sommes habitués à travailler comme cela tout le temps mais Joey semble être complètement en état de choc…plus tard il décrira (dans une interview) le fait d'avoir travaillé avec nous (je paraphrase) comme étant l'une des expériences les plus intenses qu'il ait jamais eue dans la musique, mais continue pour ajouter qu'au-delà de tout doute qu'il a pu avoir sur le moment, il a finalement réalisé que ce que nous recherchions valait vraiment le coup…
L'album semble finalement avoir trouvé une position solide, avec son mélange bizarre et sa démarche égale et commence à gagner une petite impulsion…je sens à présent que j'ai la direction que je veux prendre…je fais des plans avec Flood (le producteur de Mellon Collie) pour venir à la fin et pour m'aider à tout assembler et à mixer l'album…savoir que je vais avoir son soutien et sa direction lorsque j'ai presque terminé me donne beaucoup de confiance pour continuer, puisque je sens que peu importe où je vais à partir de là, il y aura quelqu'un pour me guider hors de l'obscurité…le désavantage est que j'ai désormais un délai à respecter, donc je dois commencer à faire un choix sérieux sur où mettre mon énergie…cela veut aussi dire que je dois commencer à enregistrer mes parties vocales (dont presque aucune n'est faite) et à prendre des décisions concrètes au niveau des paroles…
C'est juste à ce moment, quand tout semble calme, que tout commence à devenir un enfer…
Copyright 2005 Billy Corgan. All Rights Reserved. Please do not do reproduce or publish in hard or electronic form without written authorization.
Traduction par Riri et Antoine Leruste. Copyright 2005. Tous droits réservés. Toute reproduction est interdite sans autorisation écrite.
publié par antoine leruste dans: Les Confessions