Billy Corgan FR

Dimanche 09 Avril 2006

Lors d’une certaine nuit fraîche, je fais mon voyage habituel au magasin de spiritueux pour acheter les cigarettes de ma belle-mère...elle m'a donné un billet de 20 dollars, ce qui représente une quantité fantastique d'argent pour un garçon de 7 ans tel que moi...c’est la pleine lune, et comme toujours à ce moment-là, je sens en moi l'appel du sauvage...l'air pur inonde ma tête, et pour la première fois de ma vie j’envisage l’éventualité de m’enfuir...bien sûr, je n’ai nulle part où aller, et personne à voir..je suppose que je peux vivre un certain temps avec les 20 dollars, mais bien sûr je n'aurai aucun moyen d’obtenir plus d’argent une fois que je les aurai dépensé...je me dis que le meilleur endroit où habiter serait sous un pont, mais j’aurai à chercher un moyen d’obtenir des draps...je marche particulièrement lentement, pesant chaque aspect de ma décision à chaque pas...la situation chez moi est tellement toxique pour mes nerfs que je ne peux probablement pas tenir une nuit de plus...c’est un des rares moments où je ne pense qu’à moi, laissant mon petit frère et les autres personnes que j'aime complètement en dehors de la question...l’allée derrière les magasins est complètement déserte, il n’y a que moi et l’éventualité de partir pour de bon...il me vient à l’idée que je serai probablement attrapé, et je n’en serai que battu davantage...je me suis habitué à me faire battre, c’est assez régulier désormais, c'est juste l'attente des coups qui me rend fou...la pause significative entre la libération de l’énergie comprimée en passant par la violence et le long balaiement de la descente, jusqu’à ce que tout soit calme…ensuite, c’est un léger grondement alors que la bête vient dans ma direction, et le rugissement engourdi qui monte au travers du sol, jusqu’à ce que les poings rencontrent les tempes, et la boucle est bouclée…

J’ai désormais appris l’art de juger ce que l’on attend de moi quand on me bat...il faut une oreille fine pour détecter si le résultat désiré est l’un des suivants: la soumission, la capitulation, l'aveu, ou la négation...certaines fois quand je suis battu, le résultat désiré s’avère être des larmes, un suppliant “arrête, arrête”, jusqu'à ce que le monstre soit satisfait...en complète opposition, le résultat désiré s’avère parfois être de me faire cesser de pleurer, jusqu'à ce qu'un voile engourdi tombe sur la scène...lorsqu’elle me bat, elle ne cesse de répéter “arrête de pleurer, arrête de pleurer sale petit morveux”, et selon cette formule les pleurs s’arrêtent une fois qu’on commence à frapper...j’apprend l’art de lui donner ce qu'elle désire, ne serait-ce que pour sentir que c’est finalement moi qui a le contrôle...

Lors d’une visite à mes grand-mères maternelles, je suis en haut dans l’appartement de ma tante, assis sur mes hanches dans le coin, fixant une curieuse boîte remplie de figures en porcelaine...je songe calmement aux choses qui me tourmentent, qui à cet âge sont que je déteste la fumée de cigarette, et que je n’aime pas que quelqu’un me voit en train de pleurer...je prends à ce moment-là deux décisions auxquelles je vais rester fidèle jusqu’au jour d’aujourd’hui…la première, ne jamais fumer de cigarette, tellement j’en hais l’odeur (je n’ai toujours jamais fumé de cigarette dans ma vie)...la deuxième, que je ne pleurerai jamais qu’importe la raison (j’estimerais que je n’ai pleuré que 6 ou 7 fois dans ma vie entière depuis ce moment-là, les circonstances étant d’habitude si écrasantes que je ne peux pas surmonter l’émotion---les funérailles de ma mère, la trahison absolue, le dernier concert des Pumpkins)…

Donc désormais quand je suis battu, si le désir semble être de me faire pleurer, j’apprends une sorte de faux sanglot, dramatisé pour augmenter l’effet nécessaire...elle ne semble pas remarquer la différence entre la fausse version et le vrai truc, donc ceci fait l’affaire et je n’ai donc jamais besoin de pleurer du tout...

Mon père passe la plupart des soirées à se défoncer et à regarder la télé...cela devient notre moment ensemble, la façon la plus efficace pour être en sa présence est d’apprendre à apprécier ce qu'il apprécie...parce que mon père n’a que peu d’intérêt dans ce qui m’intéresse...chaque tentative pour le faire regarder un match de baseball peut se solder par un ondulement de la main et une dévalorisation du sport en le qualifiant d’ "ennuyeux"...heureusement pour moi, mon père aime regarder des choses comme "Monty Python's Flying Circus" et "The Midnight Special", qui était une émission passant des live de nouveaux groupes...cela a été en de nombreuses façons ma première exposition au rock international qui n’était pas couvert par notre radio locale...

Puisque nous habitons si proche d’un bowling de niveau international, mon frère et moi allons souvent y traîner et regarder les gens qui jouent...la piste de bowling est toujours bien climatisée en été, et d’une douce chaleur en hiver (notre maison n’est généralement pas chauffée en hiver pour faire des économies)...après un certain temps, notre curiosité triomphe de nous, et nous décidons d’essayer le bowling par nous-mêmes...j’ai à peu près 3 dollars d’économie, et puisque le panneau d’affichage indique qu’une partie coûte 1 dollar, je me dis que c’est suffisant pour tous les deux et qu’il nous restera un peu pour acheter du soda...nous louons nos chaussures, et nous nous éclatons, jouant pendant environ 4 heures...lorsque nous montons payer, l'homme derrière le comptoir nous informe que nous avons joué 16 parties, et avec les chaussures, etc, nous lui devons environ 18 dollars...je ne m’étais malheureusement pas rendu compte que c’était 1 dollar PAR PARTIE....par chance, mon frère avait récemment trouvé un billet de 20 dollars par terre, mais il est pour l’instant caché sous le canapé...je convaincs l'homme de me permettre de laisser mon frère en tant que garantie, promettant de revenir avec l'argent...je cours rapidement à la maison, vole 20 dollars à mon frère, et reviens payer l’addition, en omettant exprès de dire à mon frère où j'ai obtenu l'argent...parce que s’il avait su que l'argent était le sien, il aurait refusé par principe, me blâmant pour mon inadvertance puisque tout ça était mon idée...

L'étang qui se situe juste en face de notre appartement devient un endroit où je vais juste m’asseoir et contempler, un petit bout de tranquillité dans l’étendue urbaine dans laquelle nous habitons...je regarde les gens pêcher, tirant leur poisson-chat sale hors de l'eau et les mettant dans leurs seaux en plastique blanc en faisant plouf...je me sens toujours désolé pour les poissons, avec leurs destinées incertaines, faisant des tours dans un seau...une après-midi, je regarde un adolescent que je connais un petit peu et qui habite dans une des maisons du centre ville à côté de l'étang...il saigne de la tête, une vilaine entaille à travers le haut de son sourcil...je lui demande ce qu’il lui est arrivé, et il me dit que quelqu'un lui a jeté une pierre d’en face de la route...il ne sait pas qui le lui a fait, mais jure de se venger...l’étang perd soudainement son charme en tant qu’endroit paisible, je cesse donc d’y aller...



Copyright 2005 Billy Corgan. All Rights Reserved. Please do not do reproduce or publish in hard or electronic form without written authorization.

Traduction par Benjamin Pruvost et Antoine Leruste. Copyright 2005. Tous droits réservés. Toute reproduction est interdite sans autorisation écrite.

publié par Antoine Leruste dans: Les Confessions
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