Billy Corgan FR

Dimanche 13 Novembre 2005

Avant de vivre dans la salle de répétitions, j’avais habité un court temps avec D’arcy et son futur mari Kerry (qui est l’ancien batteur de Catherine et un bon ami) dans leur appartement au sous-sol du côté nord...comme Kerry était sorti avec l’une de mes anciennes petites amies, nous partagions une sorte de lien "hé, on est sortis avec la même fille mais c’est pas grave"...en plus de cela, le fait que lui et D’arcy soient tombés si follement amoureux nous avait même rapproché l’un de l’autre puisqu’il traînait souvent avec elle...j’était sans-abri quelque temps, ayant rompu avec ma copine de longue date (avec laquelle j’avais vécu alternativement et à qui j’avais laissé mon ancien appartement), et j’étais si complètement dévasté que je ne pouvais plus fonctionner pendant quelque temps à cause de crises de larmes et de panique...me prenant en pitié, ils m’ont gracieusement invité à rester chez eux pour que je ne reste pas seul...je dormais par terre dans la salle à manger sur un matelas trop petit et explosé, parce qu’ils n’avaient qu’une seule chambre...dormir par terre ne me dérangeait pas trop, parce que c’était mieux que d’être tout seul...c’était jusqu’à ce qu’ils achètent un furet, que D’arcy a rapidement teint en rose pour une raison qu’elle seule connaît...au début, un furet, c’est marrant..."regarde le furet! regarde-le manger la boîte! ha ha!"…quand il gagne en confiance, le furet ressemble plus à un terroriste qu’à un petit compagnon à poil...il détruit quasiment tout sur son passage, mordant et déchiquetant...il va dans leur chambre, grimpe sous leur couverture, et se met à mordre Kerry au pénis pendant qu’il dort...les billets sont tailladés, les pièces et les objets brillants se volatilisent, rien n’est sacré pour ce monstre...en plus, il pue la merde...le furet et moi, nous développons une relation d’amour/haine (il m’aime, je le hais)...s’ajoute à mon surmenage psychique le fait que les interludes romantiques de Kerry et D’arcy (avec des abandons pas tellement discrets) ont lieu presque tous les soirs, tous les deux faisant peu d’efforts pour masquer le fait que c’est cela qu’ils sont en train de faire dans l’autre salle (les murs étaient très fins)...moi, bien sûr, en toute conscience, je ne peux pas me plaindre, parce que ce n’est pas chez moi...j’ai vraiment apprécié le fait qu’ils m’autorisent à rester, mais lorsque tu te sens vraiment seul et le coeur brisé, et que tu te retrouves à dormir par terre sur le carrelage froid, tout ce qui te rappelle le bonheur entre 2 personnes est douloureux et amer...c’est initialement la raison pour laquelle j’ai décidé que ce serait mieux de vivre niché dans la salle de répétitions, parce que je pensais que c’était calme et isolé et que cela me donnerait un endroit où me désoler tout seul...sans parler du fait que, si j’étais resté, j’aurais étranglé ce stupide furet...

Ayant reçu ce qui était à l’époque le plus gros cachet de tous les groupes alternatifs du début des années 90 (après notre premier disque), je suis passé rapidement de la fierté de mes premiers accomplissements à la honte de ne pas les mériter...ma maison d’édition avait tant confiance en mon talent qu’elle me donna l’équivalent d’un disque d’or (c’est-à-dire 500.000 unités) multipliés par 4, ou en clair,
$1.000.000, soit $250.000 par disque (l’argent est crédité au compositeur par disque vendu multiplié par un certain nombre de chansons)...passer de $12.000 par an gagnés en travaillant dans un magasin de disques d’occasion à un million de dollars sur mon compte en banque me rendit fou...cela me rendait paranoïaque parce que maintenant j’avais quelque chose à perdre, alors qu’avant je n’avais rien...j’avais la pression de devoir les regagner, et celle de toutes les illusions des attentes qui montaient autour de moi...la sensation pressante, pourtant irréelle, que j’aurais à faire le disque de ma vie ou que j’allais finir sur la pile des rebuts de l’humanité me rendait craintif à l’idée de dépenser que ce soit même un penny...je me sentais contraint d’avoir à prouver à moi-même que j’avais gagné cet argent, au lieu de me dire que c’était quelqu’un qui plaçait sa confiance en moi...en plus, obtenir cet argent d’une source extérieure créa une tension à l’intérieur du groupe envers moi, ce qui était relativement inconfortable...dans ma logique, si le groupe splittait (ce qui a toujours semblé possible), je n’aurais plus jamais à refaire un travail normal de ma vie...alors, je me suis réfugié dans mon monde sûr du travail, travail, travail, là où il n’était pas question d’affronter des attentes, mais de les détruire...

Soignant mes blessures et perdant le souffle, je me suis mis à travailler comme un forcené, me poussant moi-même et le groupe toujours plus pour jouer à un niveau plus haut...je parle constamment de comment nous allons faire ce disque malsainement compliqué, celui qui va nous démarquer de tous les (soudains) groupes heavy...nous les dépasserons par la composition, l’arrangement, le coeur et la discipline...nous sommes galvanisés, transformés en quelque chose d’idéaliste et d’irréel, et il n’y a personne pour nous dire, ou plus expressément pour me dire, que nous ne pouvons pas le faire...les mélodies montent dans l’espace, devenant plus longues et plus obtuses...nous allons de plus en plus loin, et il n’y a pas de retour en arrière...

Comme je suis bon ami avec nos compagnons de salle (le groupe local) Catherine, je traîne souvent pendant leurs répétitions pour vérifier ce sur quoi ils travaillent et distiller des conseils non sollicités...je remarque que dans cette salle étroite, ils sonnent vraiment comme une sorte d’avion au décollage quand ils jouent...la sensation est vraiment excitante, et étant la pute de son que je suis, je leur demande pas si sournoisement comment ils créent cet effet vertigineux...ils montrent tous du doigt timidement vers ces petites boîtes argentées sur le sol, et me disent que c’est cela...leur pédale vintage, inventée par
The Electro Harmonix Company, est une simple pédale à l’ancienne de distorsion/fuzz appelée 'The Big Muff Pi'...fabriquée dans les années 60 et 70, elle se présente dans un boîtier en métal brossé, avec des boutons noirs cheap (les models suivants sont plus facilement reconnaissables au gros symbole rouge Pi estampillé sur la plaque du dessus)...elles sont vendues d’occasion environ $75-100, et il n’y a que trois réglages critiques: volume, tone et sustain (le volume envoie à l’ampli la quantité de signal, le tone la quantité de basses contre celle des aigües, et le sustain veut en fait dire combien d’overload fuzz on va avoir)...je remarque que lorsque les gars jouent, l’espace vrombit avec une énergie électrique qui me mitraille les os et m’agitent les dents...c’est comme si cette salle était faite pour ce son...ils me disent que la raison pour laquelle ils aiment utiliser cette pédale est le grondement profond et vaseux qu’elle fait, dû au fait que le son à l’intérieur s’effondre à cause de la pression intensifiée, créant une présence plus imposante lorsqu’ils joue du rock de façon hard (et réussissant aussi à masquer quelques inconsistances dans leur jeu)...l’effet est immédiat, et ils m’apparaissent soudainement comme un groupe beaucoup plus dangereux que dans mes derniers souvenirs...pour une raison ou pour une autre, l’alchimie des murs en béton, de l’air froid et de cette petite pédale toute conne fait sonner le groupe comme si Dieu lui-même descendait des cieux...ce que signifie bien sûr que je dois m’en procurer une pour moi-même...

C’est quasiment impossible de décrire l’intensité de l’endroit des répétitions lorsque les Pumpkins jouent à toute vitesse avec les Big Muffs branchées...En gros, les dimensions de la pièce sont environ de 25 sur 15 pieds, avec groupe en cercle au beau milieu de la boîte à chaussures...lorsqu’on possède le batteur qui est probablement le batteur le plus bruyant du monde, jouant avec passion et puissance (sans parler de la dizaine de cymbales crash fendant l’air) face à 2 half-stacks Marshall de 100W et un ampli basse SVT de 400W, on a dans ses mains son grondement sourd de base...en ajoutant à cela le fait que nous jouons dans un bunker en pierre avec peu ou pas d’insonorisation et on attrape une gentille explosion qui donne un mal de tête...mais ce qui place ces mélodies au-dessus de tout, ce qui fait sonner le tout, et ce qui déverse discrètement notre mixture liquide de l’anecdotique à notre propre symphonie rock and roll, est dû à cet engin presque oublié...


De temps en temps, nous prenons (en équipes diverses, parfois 2, parfois tous les 4) du LSD et nous essayons de répéter...cela a l’air d’être une bonne idée pendant environ une heure, jusqu’à ce que la strychnine ou l’acide lui-même pénètre notre cerveau et fonde tous nos sens et que le métal progressif paraisse tout à coup bien trop difficile...cette drogue défait les barrières tendues entre nous, et semble nettoyer l’air sans que personne ne dise rien...quelqu’un se met à rire, et nous redevenons des gosses, oubliant toutes ces stupidités à propos d’être en tête des charts et de changer le monde...

Nous sommes obsédés par la précision technique, car c’est pour nous évident que plus nous jouons serré, plus notre son est lourd...l’ajout de la pédale Big Muff dans notre matos nous fait paraître plus large et plus moyen que nous le sommes en réalité, mais tout ce matracage renforcé vient avec un coût caché...parce que le son est si grossièrement imposant (les amplis sonnent comme s’ils allaient exploser à tout instant), le groupe ne sonne malheureusement pas du tout compact...au début, nous pensons qu’il faudra du temps pour s’habituer au son des fuzz, et nous nous amusons tellement à jouer avec de toute façon que cela n’a pas l’air d’être un gros problème...mais après seulement quelques jours, il devient évident que certains aspects de ce que nous faisons, des petites choses que nous considérons comme allant de soi (à savoir l’attaque, sur laquelle nous nous concentrons), disparaissent dans une brume une fois que nous les éclairons...nous parlons de laisser tomber les pédales pour de bon, en se persuadant naïvement que nous pouvons simplement revenir à notre son normal et compenser avec quelque chose d’autre...nous jouons seulement quelques minutes avec notre ancien matériel avant de s’interrompre, intrigués parce que notre son est maintenant ennuyeux à nos oreilles troublées!...nous sommes à un carrefour, parce que nous avons fait un pacte avec le diable (du démon fuzz) et qu’il semble impossible de faire marche arrière...c’est un pacte faustien parce que ce son terriblement excitant nous rend invincible, mais en nous ôtant notre intensité tant travaillée, il nous dégénère en groupe commun de bar...après quelques discussions, nous décidons à l’unanimité de garder les pédales fuzz, et nous découvrirons simplement une façon, jusqu’alors inconnue, de les faire marcher...nous devrons juste répéter d’autant plus dur...

 

Copyright 2005 Billy Corgan. All Rights Reserved. Please do not do reproduce or publish in hard or electronic form without written authorization.
Traduction par Benjamin Pruvost et Antoine Leruste. Copyright 2005. Tous droits réservés. Toute reproduction est interdite sans autorisation écrite.

publié par Antoine Leruste dans: Les Confessions
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Commentaires

Boulot, drogues, et musiques...
Commentaire n° 1 posté par: Enkhyl le 13/11/2005 - 19:41:15
Merci beaucoup !!!
Commentaire n° 2 posté par: Fab le 13/11/2005 - 22:38:17

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