"Le Soir", Actualité culturelle, Samedi 6 avril 1996, page 10

Interview exclusive des Smashing Pumpkins qui seront ce soir à Gand la mélancolie et la tristesse triomphante

Avec 65.000 doubles albums vendus en Belgique et les 12.000 fans du Flanders Expo de ce soir, la bande à Billy peut être heureuse.

AMSTERDAM

De notre envoyé spécial

Les Smashing Pumpkins sont sans aucun doute le premier groupe rock issu de l'alternatif américain à remplir le Flanders Expo. Ce qui n'est pas le premier des exploits du band chicagolais qui a déjà réussi son pari de vendre à plus de six millions d'exemplaires un vrai double album qui n'est ni une compil', ni un " live ". " Mellon Collie and the Infinite Sadness ", leur troisième album paru l'an dernier, était il est vrai une des plaques les plus fortes et les plus denses
qu'on ait eu à se mettre entre les oreilles. Il est l'oeuvre du cerveau tourmenté de Billy Corgan qui ne s'était pas privé d'annoncer qu'il s'agissait là de son testament, et les fréquentes disputes au sein du groupe avaient suffi à hypothéquer sérieusement son avenir. Nous avons retrouvé les Smashing au Grand Hotel d'Amsterdam, jeudi, un des rares jours de repos de cette tournée très chargé lancée à Chicago au Riviera Club en octobre dernier. La charmante bassiste D'Arcy et le guitariste James Iha nous ont rassuré quant à l'état de santé de Billy et aux rumeurs alarmistes de séparation :

James : Quand vous êtes en tournée, vous n'avez plus le temps de penser. Mais on ne va pas se plaindre comparé à la frustration de tant d'autres groupes. Quand les choses vont bien, que le disque se vend, que les salles sont pleines où qu'on aille, vous freinez un peu votre nature, vous faites un effort. Vous vous concentrez sur ce que vous avez à faire tous les soirs. On a tous les mêmes buts et envies, donc il n'y a plus de raison de se chamailler. Déjà sur ce disque, chacun avait bien établi son champ d'action. C'était clair.

D'Arcy : Pour Billy aussi ça a été dur de déléguer un peu, de laisser les autres s'exprimer tellement sa vision du disque et du groupe était précise.

James : Il y a comme une dualité chez Billy. D'une part, il veut tout contrôler, et de l'autre arriver à l'alchimie parfaite de groupe. La seule chose dont on ne se mêle pas ce sont ses textes. C'est vraiment son rayon et il le fait très bien.

D'Arcy : On le connaît trop bien maintenant. On sait ce qu'il ne faut pas faire avec Billy. Ceci dit, il fait des progrès dans ses relations avec les gens. Il est méconnaissable. Parfois il a des rechutes. C'est un mutant.

ABSENTS DE NOS FESTIVALS

Les Pumpkins seront un des grands absents (avec Oasis) de la 20e édition du festival de Torhout-Werchter qu'ils ont connu en 1992 (en remplacement de dernière minute de Pearl Jam) et ils ne seront également pas du Pukkelpop visité en 93 et 95 :

James : On termine fin juin la tournée européenne, on compte enregistrer encore quelques " faces b ". Cet été on fera la tournée des grandes salles aux Etats-Unis car jusqu'ici on n'a fait que des clubs. En décembre, on se repose un peu et puis on risque fort de remettre ça sur scène l'été prochain. On a le temps de voir venir avant un nouvel album maintenant. Si vous voulez être un groupe au succès mondial, il vous faut aujourd'hui tourner durant un an et demi pour tout couvrir. C'est très fatigant mais on a toujours pensé qu'il ne fallait pas négliger l'Europe. La motivation n'est pas que financière. Quand vous apprenez les chiffres de ventes de disques dans les différents pays, vous cherchez juste à répondre à la demande.

Il suffit de voir sur Internet l'invasion des sites Smashing Pumpkins venant des fans clubs du monde entier pour se rendre compte de l'importance du groupe et de la manière dont il affecte la vie des gens. Même James Iha a droit à sa page personnelle. Ce qui l'inquiète plutôt :

James : C'est dans ma nature de vouloir rester dans l'ombre. Je suis l'autre compositeur du groupe mais Billy écrit la plupart des chansons donc c'est plutôt autour de lui que les gens veulent graviter. Je ne m'en soucie pas, je suis bien content qu'on me laisse en paix et qu'on n'envahisse pas ma vie privée comme celle de Billy. J'écris assez bien de chansons mais elles ne sont pas très Smashing Pumpkins, je m'en servirai plus tard quand le groupe sera au repos.

D'Arcy : Et puis Billy n'arrête pas d'écrire, c'est un vrai malade. Même quand il essaie, il n'y arrive pas. C'est plus qu'une obsession, c'est lui.

James : Notre envie en formant le groupe était d'aller le plus loin possible. Après les expériences du côté électronique, avec moins d'apports d'instruments rock classiques, j'aimerais qu'on revienne à quelque chose de plus acoustique, de moins rock. En vieillissant, je m'intéresse moins aux groupes et plus aux chanteurs, genre Dylan et Graham Parsons.

Après avoir depuis le début collaboré avec Butch Vig aujourd'hui heureux avec son groupe Garbage, les Pumpkins ont fait appel à Flood et Alan Moulder pour la production de " Mellon Collie... " :

D'Arcy : L'atmosphère dans le groupe avait tout à fait changé donc il est difficile de comparer le travail des producteurs. On connaît Butch depuis tant d'années que tout était devenu simple avec lui. Tout ce qu'on sait, on l'a appris de Butch.

James : Il est " too much " et tellement drôle. Il mange tout le temps du bacon, il boit beaucoup, prend sans cesse des drogues, du Prozac, il a besoin d'électro-chocs pour se calmer.

D'Arcy : Tous les batteurs sont comme ça. Jimmy a encore disparu hier soir, il est vraiment énervant...

THIERRY COLJON

Les Smashing Pumpkins sont ce soir, samedi, au Flanders Expo de Gand. C'est complet. Album " Mellon Collie and the Infinite Sadness " (Virgin).