"Le Soir", Actualité culturelle, Mardi 9 avril 1996, page 8

Les Smashing Pumpkins, un samedi de Pâques, à Gand. La Passion selon saint Billy Corgan.

Il y a bientôt deux mille ans, un miracle divin a ressuscité le Christ. Le mystère plane encore un peu sur les circonstances et les moyens utilisés. En supposant que l'affaire se déroule de nos jours, il n'y a aucun doute pour que ce samedi de Pâques, par un soir clément d'avril, quelque part près de Gand, dans une grange appelée Flanders Expo, devant douze mille fidèles, ce soit des apôtres nommés Filter qui soient les responsables de cette résurrection. Le groupe américain est constitué de quatre gladiateurs au torse nu, armés de trois guitares, d'une basse et d'une batterie pour tout instrument du culte. De quoi réveiller un mort on vous dit ! Il fallut bien un extrait de la « Troisième symphonie », de Gorecki, pour calmer les esprits avant la lecture musicale du saint Evangile.

Voilà qui fut rondement mené, l'édifice tout en béton tint bon, la place était chauffée pour l'arrivée du Messie en la personne de Billy Corgan, reconnaissable à l'humilité de son crâne rasé, à son pantalon couleur aluminium et à son inséparable sweatshirt noir barré d'un « Zero », titre d'une de ses chansons.

Cela fait des mois qu'il traîne cette relique sur son dos : on l'a vue au Pukkelpop l'an dernier, sur une photo du livret de la bible « Mellon Collie and the Infinite Sadness » et à Chicago en octobre dernier, au lancement de sa tournée mondiale. On comprend mieux pourquoi maintenant : cette aube un rien diabolique était mise en vente par les marchands du temple installés à même le hall polyvalent. Ainsi tout le monde pouvait se prendre pour dieu : belle leçon de marketing moderne et de prosélytisme.

La plage titulaire instrumentale servit, comme dans les saintes écritures déjà vendues à plus de sept millions de pèlerins, d'introduction à la procession suivie également de « Tonight Tonight ». On est en terrain connu, surtout que « Zero » ne traîne pas avant que les Smashing ne reviennent à « Today », le titre phare de leur précédent « Siamese Dream », pour reprendre le cours de l'épître aux collégiens avec « Bullet with Butterfly Wings ». La troupe n'aura ensuite de cesse d'alterner pages musclées intempestives et humeurs calmées, même s'il faudra attendre les rappels pour ouïr « 1979 ».

Le public semble réellement partagé en deux bandes : les plus jeunes sont devant, excités comme pas deux, certains passant leur temps sur la tête de leurs condisciples. Une vraie ambiance de festival de plein air, spécialité des Smashing depuis leurs remarquées prestations à T/W et au Pukkelpop. Billy, il est vrai, avouera aimer particulièrement la Belgique, son grand-père et sa grand-mère étant belges. Allez savoir s'il ne dit pas ça en fonction du pays visité. Derrière, dans les gradins, le comportement des ouailles est plus retenu, comme s'il s'agissait d'admirer le visuel fait d'une batterie de vari-lights et d'un écran où images en surimpression et formes géométriques psychédéliques créent un petit climat recueilli.

La blonde bassiste D'Arcy, à la droite du maître comme d'habitude, nous a semblé cette fois plus en retrait. Blessée à la main droite comme elle nous l'avoua elle-même jeudi, elle y va tout en douceur alors que l'imperturbable James sert l'électricité avec la science du devoir accompli et de l'apostolat. Tout cela est évidemment très statique, il faut bien l'attitude chaleureuse de Billy et la force des chansons pour maintenir la tension (et l'attention). Après une heure et demie de bonne parole qui s'est terminée dans une allégresse des plus défoulantes, Smashing Pumpkins s'en est allé, satisfait que, pour une fois, tout se soit bien passé. Amen.

THIERRY COLJON