J’achète mon premier disque au sommet de la colline...on m’a donné un dollar, pour que je puisse faire des 'achats' pour moi-même, et je trouve une pile de disques (des 33 tours) dans l’un des stands près de chez nous…même si nous vivons tous dans ce coin perdu, chaque sous-quartier a ses propres potins et ses propres politiques, et ce couple vient du quartier qui se trouve juste à droite lorsqu’on descend la colline depuis la route principale…(nous sommes dans le quartier en bas à gauche, et mon futur entraîneur de football américain vivait aussi dans le quartier en haut à droite, quelque chose qui viendra me hanter plus tard)...je fouille dans les disques, la plupart des titres ne m’étant pas familiers, jusqu’à ce que l’un d’entre eux me rappelle immédiatement quelque chose...la couverture est relativement simple, 4 hommes de profil avec des visages beaux et forts, "Meet the Beatles"...j’ai entendu parler du nom de ce groupe, mais je n’arrive pas bien à le comprendre...je donne à la dame mon billet de un dollar, et elle me rend 3 pièces de 25 cents...l’écoute de ce disque devient pour moi une expérience religieuse, presque sexuelle, parce que je suis complètement submergé par le son collectif du plus grand groupe de tous les temps jouant en mono à travers une fine aiguille dans un tout petit haut-parleur...j’associe à tout jamais ce son à l’électricité, parce qu’il envoie des éclairs à travers mon corps et me coupe le souffle...je ne peux pas rester immobile quand j’écoute, et je dois tourner sur moi-même...je tourne jusqu’à ce que je sois prêt à perdre connaissance, et ensuite je tourne un peu plus...ma chanson préférée d’eux est "little child", parce que je sais qu’ils chantent pour moi...je suis un petit gamin de 5 ans, et on est en automne 1972...
Je fréquente une école qui est loin de chez moi, environ 15-20 minutes à pied...parce que ce sont les quartiers 'sûrs', je marche en général seul sans surveillance adulte, mais je préfère marcher avec un de mes camarades de classe et ses parents, juste pour faire de la conversation...la raison qu’on me donne pour laquelle je dois aller tout seul à l’école est que mon père faisait 8 kilomètres à pied tous les jours pour aller à l’école, donc ma courte marche n’est rien en comparaison (un thème récurrent avec mon père tout au long de ma vie, même jusqu’au jour d’aujourd’hui)...je connais bien l’agent du carrefour parce que c’est ma voisine et la mère de l’un de mes amis...elle se tient à l’un des carrefours les plus dangereux, donc je vais lui dire bonjour deux fois, une fois à l’aller, une fois au retour, et elle garde un oeil sur moi en quelque sorte...je redoute ces trajets, surtout quand il fait froid, ce qui est généralement le cas dans la région de Chicago...un jour tôt le matin sur la route sans fin de l’école, je trouve une petite pierre qui tient parfaitement dans ma main, comme si elle avait été faite pour moi...elle est magnifiquement sculptée de telle façon à se courber jusqu’à mon pouce, tient carrément dans la courbe de la paume de ma main, et a les mêmes dimensions que mes doigts...elle devient ma pierre 'porte-bonheur', et d’une certaine façon, le fait de l’avoir dans ma poche partout où que j’aille me fait me sentir plus en sécurité (je le fais encore)...mon expérience dans cette nouvelle école est un problème similaire, parce que je suis tellement en avance sur les autres élèves que c’est plus une expérience sociale qu’éducative...à la place, je mets donc mon énergie dans des choses créatives, comme apprendre à écrire le plus petit possible...les professeurs me grondent souvent parce qu’ils ont du mal à lire mon écriture, qui est lisible mais vraiment toute petite...ils me font faire des exercices pendant lesquels je dois écrire de ma petite écriture normale et ensuite ils me font recopier les mêmes mots à une plus grande échelle (c’est en faisant cet exercice que j’ai commencé à développer l’écriture plus grosse et plus fleurie avec laquelle j’écris encore aujourd’hui)...
Je suis beaucoup plus grand que la plupart des élèves de ma classe, et dans certains cas, littéralement deux fois plus grand...je n’aime pas me tenir debout, ou dans ce cas, être au-dessus de tout, et je commence à me voûter pour cacher ma taille...tout ce qui me fait me tenir debout me rend fou, tant mon désir de me fondre dans la masse est intense...mais chacun de mes espoirs de faire partie de la foule est anéanti lorsque mes camarades de classe commencent à me railler et à plaisanter verbalement sur la large tâche de naissance que j’ai sur la main gauche...jusqu’à ce moment-là je n’y avais pas vraiment prêté attention, parce que bien que d’autres enfants me l’avaient faite remarquer auparavant, cela ne m’avait pas une seule fois exclu du 'club'...maintenant à cette nouvelle école, amis et étrangers se tournaient monstrueusement contre moi, disant que je suis 'étrange', 'infirme', et un 'monstre'...ils hurlaient après moi quand je traversais la cour de l’école 'Billy s’est brûlé, Billy s’est brûlé!'...un gamin disait même que ses parents lui avaient dit que j’avais été brûlé à l’acide, et qu’il ne fallait pas me toucher...
Ma relation avec ma belle-mère est toujours relativement formelle et distante, alors que je la considère toujours comme une étrangère sans vraiment de pouvoir dans ma vie...elle fait la chef quand mon père n’est pas là, mais ma raison me dit qu’elle ne me provoque pas plus par crainte de mon père que par un quelconque intérêt pour moi...elle règle les problèmes de discipline avec une approche 'attends que ton père revienne'...la vie n’est pas heureuse, mais elle n’est pas malheureuse...ma vraie mère fait comme s’effacer dans l’arrière-plan, emportant sa famille avec elle...
La première véritable confrontation entre ma belle-mère et moi a eu lieu cette fois ci, au sujet d’une nouvelle paire de chaussures...de retour du shopping, elle me dit qu’elle m’a acheté quelque chose, et me demande de les essayer...ce sont des tennis blanches, avec une bande bleue sur le côté...elles me vont bien, mais sont inconfortables, et j’essaie de lui dire qu’elles me font bizarre aux pieds, surtout au niveau des orteils...elle m’explique que la raison possible de cette drôle de sensation est que ce sont des tennis de femmes, et qu’elle les a achetées parce qu’elles étaient vraiment bon marché (en promo à 2 dollars)...je lui dis que je ne veux pas les porter parce que je ne me sens pas bien avec, et qu’en plus, je ne veux pas porter des chaussures de filles...elle me regarde froidement et me dit que je porterai les chaussures, qu’elle les a achetées 'pour moi', que je n’ai pas le choix, et que ce sont désormais "mes chaussures"...en plus, selon elle, personne ne remarquera la différence, donc qu’est-ce que ça change?
Je suis horrifié le jour suivant lorsqu’elle me fait porter ces chaussures pour aller à l’école...j’ai l’impression que le monde entier regarde mes pieds, alors que je regarde attentivement les yeux de chacun des passants pour voir s’ils les remarquent...c’est une expérience humiliante, rendue pire par le fait que c’est une expérience à laquelle je ne peux pas échapper...le matin se passe sans problème, sans que personne ne dise quoi que ce soit au sujet de mes chaussures de filles, et je commence à me détendre et à les oublier...cependant, pendant la récréation, un de mes amis m’interpelle au sujet de mes chaussures, et demande bientôt à tout le monde de venir les voir...bien sûr, je nie comprendre de quoi ils parlent, essayant de dire à quiconque m’écoute que ce sont des chaussures spéciales, importées de quelque part très loin...
Le jour précédent mon 6ème anniversaire, mon institutrice me dit qu’elle est vraiment, vraiment fâchée contre moi, parce que j’ai négligé de faire signer une certaine permission par l’un de mes parents...sans permission, je ne serai pas autorisé à participer à un futur voyage de classe avec le reste de la classe...elle me dit que si je ne fais pas signer cette permission "d’ici demain", je vais avoir "de gros problèmes" (l’institutrice est du genre méchante---une grande blonde maigre, alors je la crois)...le matin de mon anniversaire, je me réveille très excité par le jour à venir, parce qu’après l’école je vais faire une grosse fête avec de nombreux amis du voisinage...distrait, j’oublie de faire signer cette permission et je pars...environ 5 minutes après avoir quitté la maison je m’en aperçois, et je panique complètement parce que je ne peux pas faire demi-tour...juste en partant, ma belle-mère m’avait dit qu’elle serait absente pour la journée, et que la porte serait fermée à clef...mon père est bien sûr en train de dormir à la maison, mais comme d’habitude, on m’a strictement interdit de le réveiller, sous aucun prétexte que ce soit, ou alors je serais sévèrement puni...je suis piégé...je peux pas rentrer à la maison, et j’ai peur d’aller à l’école sans avoir fait signer ma permission et que l’institutrice soit vraiment très en colère contre moi et qu’elle me punisse aussi...je ne sais pas quoi faire, et dans cet état d’esprit fiévreux, je mijote un plan pour manquer l’école, imaginant que je n’aurais ni à faire face à l’institutrice, ni à rentrer à la maison réveiller mon père...je descend la route habituelle, passe devant ma voisine l’agent du carrefour, lui adresse un 'hello' normal, fais tout le chemin jusqu’à la route juste devant l’école, tourne à droite, et je coupe alors par une route voisine en direction de chez moi...ma destination est un petit parc où il n’y aura probablement personne durant toute la journée...la seule difficulté pour y parvenir est que je dois traverser un carrefour voisin visible depuis l’endroit où se tient d’habitude l’agent, et qu’elle pourrait peut-être m’apercevoir...donc j’attends à peu près une demi-heure après le début des cours, puis me dirige astucieusement vers le parc...
Je passe une journée tranquille, sereine, sinon ennuyeuse assis tout seul dans le parc...je n’ai pas de montre, donc je calcule l’heure en regardant le soleil et en évaluant les évènements de la journée en regardant les voitures passer...on peut faire de la balançoire ou du toboggan autant de fois qu’on veut, on finit quand même par être complètement lassé (surtout sans copains)...je passe la plus grande partie de la journée assis sans rien regarder...les moments majeurs de la journée se sont produits lorsque une mère est arrivée au parc avec son enfant et m’a regardé suspicieusement à cause de mon âge et du fait qu’aujourd’hui soit un jour d’école...je lui souris et je fais de mon mieux pour la mettre à l’aise, pour qu’elle m’ignore après cela...je peux deviner qu’elle hésite à prévenir quelqu’un du fait que je suis là, mais je me dis que si j’ai l’impression qu’elle appelle la police, je n’aurai qu’à fuir et me cacher...l’autre moment mémorable de la journée arrive à l’appel de la nature, et je dois trouver un moyen d’aller aux toilettes dans les petits bois à côté du parc...je me souviens que quelqu’un disait quelque chose à propos des Indiens qui utilisaient des épis de maïs, et je fais de mon mieux pour m’en sortir... le moment où je pense que l’école est terminée arrive enfin...je prends la même route voisine, faisant de mon mieux pour éviter d’être aperçu par l’agent...je reviens à l’école, fais demi-tour, et rentre à la maison comme d’habitude...lorsque je passe devant l’agent, elle me regarde bizarrement, et je me demande si elle m’avait vu l’avoir furtivement évitée sur l’autre route (j’appris plus tard qu’elle m’avait dépassé en voiture quand j’étais en train de marcher)... je lui adresse un 'hello' normal, mais tout n’est pas normal...je prends mon mal en patience sur le chemin du retour, me convaincant que comme c’est mon anniversaire, elle ne dira rien à personne et me protègera...dès que j’arrive chez moi, je vais directement dans ma chambre, tremblant parce que je suis si terrifié à l’idée de me faire attraper...désespéré, je la vois par la fenêtre arriver et sonner à la porte...quelques instants plus tard, ma belle-mère me dis de descendre, et je suis confronté aux informations de l’agent se tenant juste là (le pire étant qu’elle est invitée à la fête)...j’explique ma logique, et ma crainte, mais cela ne sert à rien...anniversaire ou pas, je dois monter dans ma chambre et attendre mon père...je reste assis dans ma chambre infiniment longtemps, alors que les enfants arrivent pour la fête...je peux entendre leurs voies étouffées à travers le sol, et je les imagine en train de dire toutes sortes de choses à mon sujet...la fête commence sans moi, et c’est une heure interminable avant que mon père arrive, et monte dans ma chambre...
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Traduction par Benjamin Pruvost et Antoine Leruste. Copyright 2005. Tous droits réservés. Toute reproduction est interdite sans autorisation écrite.
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publié par Antoine Leruste dans: Les Confessions
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